Mars

Lundi 2 mars
Galtier-Boissière avait sa drôle de paix pour affûter son style et aiguiser ses crocs. J’ai de plus en plus la sensation d’assister à la crise majeure d’une humanité mondialisée par le sens historique, sans qu’aucun garde-fou n’en prévienne la chute.

Comme lors de la Guerre du Golfe, je ne suis qu’un observateur horrifié des dérives humaines. Rendre compte dans l’instant, avec l’imperfection de l’immédiateté mais l’authenticité inhérente, demeure le privilège du diariste. Assister à la tourmente naissante de pays développés dont les bases économiques s’effondrent sans être, pour l’instant, touché dans sa vie propre, développe en soi une fascination déprimée.
L’Union européenne n’a pas su relever le défi d’une réaction coordonnée et massive pour contrer la crise en cours. Le rejet, par la France puis les Pays-Bas, des nouvelles règles de fonctionnement à 25 puis 27 membres, tout comme l’intégration prématurée de pays à l’économie fragile, ne vont pas favoriser l’europhilie. L’urgence de la situation démontre qu’il aurait fallu un leader et un visage à cette UE, plutôt que cette absurde présidence tournante tous les six mois. Un plan unique à l’échelle européenne, adopté à la majorité qualifiée et visant l’ensemble des pays membres, aurait eu plus de gueule que les plans nationaux tirant à hue et à dia. Voilà donc les nouvelles désastreuses qui s’enchaînent sans réaction européenne à la hauteur.

La France, elle, s’inquiète des dérives de ses DROM, Guadeloupe en tête avec un LKP dont le service de sécurité rappelle certaines milices intimidantes de partis extrémistes. Le combat de ces militants ne peut souffrir aucune contestation : il faut rejoindre et épouser leurs causes sous peine d’être recadré sans douceur. Belle conception du dialogue social. Obtenir de force la signature d’un accord prétendu sur l’augmentation de salaires. Résultats des semaines de blocage imposé : une île au bord de la ruine, un taux de chômage qui va s’amplifier et des perspectives sombres d’explosions plus radicales. Si le leader du LKP avait pour ambition de paupériser l’île, comme un Castro l’a fait pour la sienne, alors l’initiative est réussie.



Jeudi 5 mars, 22h15
Avec certains des apprentis brancardiers que Cqfd accueille, et que j’ai quelquefois en charge, je suis aux premières loges de ce qui pourrait s’affirmer comme des ennemis de l’intérieur, en cas d’explosion sociale, voire de guerre civile.

Ce sujet n’est que très rarement évoqué dans les médias traditionnels, et toujours minoré ou excusé : certains jeunes témoignent d’une haine envers l’Occident (incarné par les USA), d’un antisémitisme viscéral et d’une complaisance sans borne pour les autocrates musulmans, ou prétendus tels, ainsi que pour la nébuleuse et criminelle Al Qaida.

Ainsi, en abordant ce matin, dix minutes avant la fin de la tranche de deux heures, la poursuite pour crime de guerre et contre l’humanité du président soudanais par la CPI, sur leur demande, je cerne rapidement la dérive. Non seulement certains n’admettent pas cette poursuite judiciaire, mais ils en profitent, en vrac, pour exprimer leur admiration pour feu Saddam Hussein, leur exécration des Etats-Unis, leur haine d’Israël (ne surtout pas leur parler d’un équilibre des torts dans cet interminable conflit), et les sous-entendus en filigrane associés à un comportement bruyant et irrespectueux, les quelques figures à sortir de ce groupe incarnent l’échec absolu des affichages pour la galerie de l’intégration à la française. Leur seul objectif : profiter des systèmes d’aides en place en s’investissant le moins possible.



Samedi 7 mars
Capuches à découvert

Alors que le film Banlieue 13 Ultimatum n’est pas programmé par le diffuseur UGC dans certains complexes aux abords de cités, les haines encapuchonnées se révèlent au détour d’une séance… pédagogique.

Mon activité me met parfois au contact de jeunes en rupture sociale et dont l’approche du monde est conditionnée par quelques exécrations non négociables. Ainsi, le cas d’Omar Al-Bachir, l’autocrate-président du Soudan, accusé par la Cour pénale internationale de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité : là où chaque citoyen lambda se réjouirait qu’un sanguinaire en exercice soit poursuivi pour la tragédie du Darfour qu’il a provoquée et entretenue, les en-capuche n’y voient qu’un infâme acharnement contre le dirigeant musulman d’un pays pauvre. Ils ne tardent pas, produisant ainsi une tambouille idéologique hétéroclite, à le rapprocher du feu et tellement humaniste Saddam Hussein qu’ils arborent tel un martyr de l’abjecte Amérique et de l’Europe inféodée.

Début 1991, commentant le succès de l’opération Tempête du désert menée par l’administration Bush père, j’écrivais ceci : « Ne doutons pas que l'histoire manichéenne made in Occident lui fera une place d'honneur parmi ses démons. Le monde arabe, lui, portera longtemps Saddam dans son cœur, et il restera une figure essentielle alors que plus un américain moyen ne saura mettre une fonction sur le patronyme Bush. » Si je me suis totalement fourvoyé sur la résonance à venir du nom que le fils a contribué à inscrire pour longtemps dans les pages sombres de l’histoire universelle, l’incroyable popularité du sunnite irakien se confirme dans la tête sous capuche de jeunes qui n’étaient parfois même pas nés lorsque son armée s’est faite sortir du Koweït.

Tant que le monde occidental fera de la CPI son suppôt, empêchant à l’embryonnaire justice pénale internationale l’initiative de stigmatiser les dérives sanglantes de pays riches aux traités protecteurs, nos laissés-pour-compte à capuche s’en tiendront au simplisme dérangeant : de Bush à Israël, la crispation de leur rejet ne souffre d’aucun argument, d’aucune amorce d’éclairage historique.

Le racisme virulent et l’antisémitisme expectoré qui s’amplifient dans les périphéries à l’abandon ? On n’en parle surtout pas : comme si cette indignité rampante de notre République prétendument intégrative devait être minorée pour ne pas provoquer l’embrasement général. Hypocrisie à tous les étages : on laisse enfler les haines en espérant qu’elles ne submergent pas le contrat social de plus en plus ravalé à une missive d’inatteignables intentions.

Finalement, la crise économique, claironnée par les médias qui fournissent ainsi un carburant indispensable pour l’entretenir et maximaliser ses effets, dissimule la crise réelle d’une part croissante de la population qui a perdu l’affectio nationis et s’en remet aux litanies d’intégristes, aux sermons mortifères qui inclinent à mettre au-dessus de tout son clan, son quartier, sa communauté. Faites vos jeux… rien ne va plus !



Mardi 10 mars, 22h26

Une belle tête de bouc émissaire à faire tirer la langue au bout d’une pique en ces temps pré révolutionnaires : Fr. de Margerie devrait se méfier en sortant de chez lui. Le PDG de Total est l’objet d’un consensus politique qui descend en flamme son projet de dégraisser la bête multinationale de 555 postes alors qu’elle annonçait des profits record pour 2008. De Besancenot à Laurent Wauquier du gouvernement, la condamnation s’élève et le simplisme de l’approche sert les intérêts de chaque camp politique.

Vendredi 13 mars

L’amorce d’une douceur printanière devrait contre balancer les effondrements alentour. Ambiance pré révolutionnaire où la bête à saigner s'obstine aux mesquineries économiques. L’anticipation des désastres à venir ne peut plus se tolérer pour les âmes en sursis et dont les engagements existentiels dépendent du peu de principes supra économiques qui restent dans le sauve-qui-peut industriel.

A lire ou entendre l’abondance haineuse des victimes de Madoff, on saisit l’incommensurable déterminisme de la possession. Aucune distinction à avoir entre les catégories sociales : ce qui importe c’est l’acharnement contre le fautif, le désigné responsable de nos malheurs.

Avec le son Coldplay, la renaissance se choppe comme une bouffée de fraîcheur : le nouveau né qui gambade, hésitant entre les quatre pattes et les deux jambes ; le chenu qui aspire les quelques rayons comme une jouvence calorifique ; les demoiselles en confidences réciproques dont n’arrive jusqu’à moi que la douce crête du son. Parties, je prends leur place pour me régénérer face aux rayons qui dardent. La saison froide résiste encore en cette fin d’après-midi par une fraîcheur qui vous envahit. L’auditif ennoblit par les airs de Prospect Mark, le monde s’anime en douceur, les gestes simples, les jeux conviviaux, les complicités improvisées.



Dimanche 15 mars
Alain l’enChanteur et le château d’O

Bashung s’en est allé avec l’extrême Élégance de l’artiste accompli, mais victime de ses sources inspiratrices, de ses addictions comme le résumerait l’approche clinique.

Sans être un inconditionnel de son œuvre musicale, quelques joyaux s’imposent comme autant de singularités esthétiques au riche pays onirique du créateur. Au premier rang, Madame rêve, où les vocables suggestifs de Grillet épousent les notes aspirantes de Bashung. Une ambiance ? Non, trop mesquin ! Un univers captateur d’émotions, oui, qui vous enroulent pour vous submerger. Une portée de grâce.

La mort de Bashung, c’est une part de mon existence qui s’éloigne pour se fondre dans les restes vaporeux du définitivement perdu. Une tranche de passé sans le moindre rapport avec mes choix de vie d’aujourd’hui. Bashung, comme un révélateur d’une enfance en marge du modèle commun.

1980, après quinze ans de tâtonnements artistiques, il accède enfin au succès espéré avec sa Gaby, le long des golfes pas très clairs. Moi, comme le dit un de ses aînés en chanson, j’ai dix ans, mais je n’appelle pas ma maman pour confier mes bobos. Je me sens, au contraire, dans mon élément vital au château d’Omiécourt, en pleine Picardie – aujourd’hui exploité comme chambres d’hôtes de luxe. Parmi les quelques mélodies choisies, via les médias, des airs de Bashung habillent les souvenirs qui me restent de cette vie de hobereau.

Je me revois ainsi, une nuit d’été, dans le grenier d’une dépendance du château, pour des moments fraternels avec Hermione et Karl, enfants du même âge qui me sont alors si chers, complices de jeux et d’aventures improvisées, et ce soir-là de musiques partagées. Les trois dix, comme on nous surnomme en cette année de révélation d’Alain Bashung, inventent d’extraordinaires épopées au Fort Alamo, dans l’un des sous-bois de la propriété, reste d’un énorme tas de terre devenu mont touffu. Les trois onze poursuivent leurs jeux alors que le Vertige de l’amour peuple les ondes et ancre, pour toujours, le son Bashung dans le panthéon musical français. Pousser ses gambettes jusqu’aux grands bois, après un passage à travers champs désertés par les bœufs, pour y retrouver la magie d’une géographie torturée par les obus de 14-18 et sur laquelle arbres et lianes ont insufflé une esthétique reposante : plus de carnage ni d’explosions, mais des complicités enfantines qui semblent éternelles. Bombez le torse, bombez ! comme un délire familier qui me vient en écho de nos châtelains egos.

Ainsi, éparses, quelques parcelles qui me restent et Bashung remuant ces souvenirs qui n’auront eu comme sens que les instantanés vécus, avant les désillusions, les séparations et les rancunes… Avoir perdu ce chanteur si tôt, ne pas avoir su prolonger l’accroche avec ce frère et cette sœur de cœur, cela rend un peu coupables ses choix et son approche du passé. Bon vent à toi, Alain l’enChanteur !


Lundi 16 mars, 23h18

Pour les gouvernants en place, l’obsession se résume à ne surtout pas apparaître d’une quelconque connivence avec des financiers indélicats ou des entrepreneurs qui licencient en masse, voire ferment des sites. L’ambiance sociale des pays encore développés, avant peut-être le chaos généralisé, est à soupeser avec ce qu’il y a à perdre et ce que l’on peut gagner en cas de lutte violente contre l’autorité établie. Lancer quelques œufs et une banderole sur la tronche du directeur du site Clairoy (?) de Continental, tabasser à coups de pied la représentation humanoïde d’un responsable, ça passe encore, mais lorsque la désespérance individuelle sera galvanisée par la vague collective, plus aucune retenue ne vaudra au nom de sa propre sécurité matérielle.

L’effet d’entraînement vaut tant pour assouvir l’indécente cupidité comme l’a magistralement révélé l’escroc Madoff que pour ceux dont le seul impératif est la survie quotidienne.



Jeudi 19 mars, 21h48

Reçu un message sur Facebook d’un journaliste-réalisateur, un certain Benjamin Rousset, qui souhaiterait s’entretenir avec moi sur Paul Léautaud. Il doit lui consacrer un documentaire. Que pourrais-je bien lui apporter, à part le témoignage d’un ancien lecteur du bougre, toujours séduit par le personnage, mais dont les détails de son existence se sont effacés par l’absence de fréquentation via de régulières (re)plongées dans son œuvre. Il me serait ainsi profitable de m’imprégner de son ressenti suite à la crise de 1929 et de tenter une comparaison avec ce que je vis aujourd’hui par médias interposés.

Ainsi, la deuxième journée nationale de grève de l’année, après celle du 29 janvier, m’a flanqué un dégoût de l’actualité. Plus aucun enclin aux détails des défilés, aux postures des ténors politiques et syndicaux, aux pseudos arguments simplistes de quelques grévistes remontés. A quoi sert l’agrégat d’un jour ? La radicalité affichée d’un Besancenot peut-elle un instant se concilier avec les aspirations à la négociation sociale d’un Chérèque ? Alors tout cela, simagrées en attendant la vraie rupture…


Mardi 24 mars, 22h21

Demain, ma BB aura 42 ans. Drôle d’effet ce temps qui défile. L’ambiance médiatico-sociale est à l’alarmisme et à la stigmatisation.

S’affoler de la mécanique infernale d’effondrement et dénoncer, par l’approche simpliste, quelques actes de potentats qui révoltent la base populaire si exempte de travers…

Alors, pour mieux se faire voir des électeurs-censeurs, les politiques en rajoutent dans la mise au pilori des abuseurs économiques qui se goinfrent même lorsque l’argent public est venu suppléer les défaillances de gestion. Presque une incitation à se payer de la tête patronale au bout d’une pique… Les Besancenot et Domota peuvent savourer cette tournure. Faut-il remettre en cause le modèle mondialisé de l’économie ? Pour quel système à lui substituer ?

Certaines utopies n’ont pas vocation à se réaliser.



Jeudi 26 mars, 22h10

En fin d’après-midi, sitôt sorti des locaux de Cqfd, j’appelle Benjamin Roussel, réalisateur de documentaires qui m’avait contacté via Facebook pour son projet sur Léautaud.

Echange au cours duquel il me résume son objectif : réaliser une série consacrée à des personnalités ayant résidé en Hauts-de-Seine, parmi lesquelles Céline, la Pompadour et… le père Léautaud. Il souhaiterait enregistrer et filmer un entretien d’une demi-heure avec moi, notamment pour le volet Journal littéraire.

J’apprends qu’il doit faire de même pour toutes les plumes qui ont écrit sur lui, comme Edith Silve ou Martine Sagaert. Toutes ? Non… un certain Pierre Perret ne pourra être associé à ce premier documentaire sur le bougre gouailleur au risque, pour le réalisateur, de subir la défection des trois ou quatre obscures personnalités ayant pondu sur Léautaud, voire même d’être attaqué en justice.

Raison de cet anti-perretisme primaire ? Les prétendus spécialistes affirment que l’auteur du Zizi trompe son monde et n’a, en fait, jamais rencontré l’aristocrate libertaire… Quel intérêt aurait donc le chanteur ultra populaire d’inventer cela ? Consternant de bêtise.

Celui qui aurait pu donner une fabuleuse dimension à ce documentaire est interdit d’antenne au profit de doctes ennuyeux entre lesquels je vais immiscer ma libre parole, sans toutefois gêner la démarche de Roussel. Ce petit milieu littéraire se gonfle d’être la référence incontournable : mesquinerie jalouse de la dimension d’un Perret qui gambade sur leurs plates-bandes. Dérisoire.

J’irai donc vendredi 10 avril à Paris pour enregistrer ces réflexions improvisées.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire